Introduction

La luxation de la rotule est une entité fréquente qui touche essentiellement les adolescents. Depuis quelques années, le rôle anatomique et biomécanique du ligament fémoro-patellaire médial (LFPM) dans l’instabilité rotulienne est de plus en plus évoqué.1 Sa rupture lors du premier épisode de luxation serait la cause de l’instabilité résiduelle.2 Dans cette logique, sa réparation devrait réduire sensiblement les récidives. Malheureusement, la réparation anatomique en urgence de ce ligament ne réduit pas le risque de nouvelles luxations. Toutefois, la reconstruction différée du LFPM commence à s’imposer dans la prise en charge de ces instabilités, parfois associée aux techniques de correction chirurgicales déjà proposées par le passé. L’objectif de cet article est de présenter une actualisation des méthodes chirurgicales utilisées pour cette pathologie. Une description anatomique et historique du ligament fémoro-patellaire est aussi proposée.

Rappel anatomique et biomécanique

Le ligament fémoro-patellaire médial (LFPM) est une structure localisée sur la région supérieure et médiale du genou (figure 1). Il a une forme triangulaire à base rotulienne. Il part de la région supéro-médiale de la rotule vers la partie postérieure du condyle médial du fémur, pour s’insérer en dessous de la tubérosité des adducteurs.3 Cette région a trois couches anatomiques successives : la plus superficielle contient le fascia crural, l’intermédiaire le ligament fémoro-patellaire et la troisième couche, la capsule articulaire du genou.4 L’identification anatomique du LFPM est parfois difficile, voire impossible.5 Du point de vue biomécanique, ce ligament semble être primordial pour maintenir la rotule en position centrée jusqu’à 30˚ de flexion. Feller,6 après étude de sa biomécanique, conclut qu’il est moins élastique et moins résistant que les tendons de la patte-d’oie. Cependant, lors de la reconstruction de ligament par greffe tendineuse, cette différence ne semble pas être à l’origine d’une surcharge du compartiment fémoro-patellaire interne.6
Figure 1

Anatomie du genou : vue médiale


Le ligament fémoro-patellaire médial (LFPM) est en bleu, le ligament collatéral médial (LLI) en jaune, le tendon rotulien en rose et le quadriceps en rouge.

Le ligament fémoro-patellaire médial : une structure nouvelle ?


Rappel historique

Le ligament fémoro-patellaire médial fut décrit par Kaplan en 1951 sans lui donner le nom qu’on lui connaît de nos jours. Warren et Marshall7 ont affiné sa description anatomique en 1979. La reconstruction du LFPM n’est pas une technique de découverte récente. Plus de quinze différentes techniques de reconstruction médiale en cas de luxation de la rotule ont été décrites avant 1950.8 Ces reconstructions étaient réalisées avec le semi-tendineux, la partie médiale du tendon rotulien, le gracilis et le demi-tendineux, le fascia lata, entre autres.

Pourquoi l’homo sapiens a luxé ses rotules : trochlée, rotule et évolution humaine

L’homme est le seul primate exclusivement bipède. Cette bipédie a été acquise grâce à un angle d’obliquité fémorale d’environ 8-10 degrés. Cet angle oblique n’existe pas chez les autres mammifères, qui sont parfois quadrupèdes et parfois bipèdes comme le chimpanzé ou l’ours.9 Ces espèces ont une trochlée plate et un fémur qui n’est pas oblique dans le plan frontal.
Pour éviter la luxation de la rotule en dehors, la sélection naturelle darwinienne a inscrit dans les gènes de notre espèce un ligament médial qui retient la rotule en position centrée lors de la flexion du genou et une saillie de la lèvre externe de la trochlée. Cette saillie est présente au stade fœtal comme cela a été démontré par Jouve.10 Une absence de cette saillie est souvent constatée en cas de luxation de la rotule. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, une explication claire et certaine sur les raisons de cette différence.

Traitement de luxations de la rotule


Luxations de la rotule : faut-il les opérer en urgence ?

La prise en charge en urgence des luxations de la rotule a été étudiée par Buchner11 dans un collectif de 126 patients. Il affirme que le risque de récidive de luxation est similaire entre le groupe de patients opérés par suture directe en urgence et ceux traités par physiothérapie. Selon cette étude, 25% de patients auront une nouvelle luxation après le premier épisode, qu’ils soient opérés ou pas. Une deuxième étude par Nikku12 compare sur un groupe de 127 patients, 57 traités par physiothérapie et 70 traités par chirurgie immédiate. Il conclut aussi que ce type de chirurgie ne diminue pas le risque de nouvelle récidive. Pour la majorité des équipes chirurgicales, la seule indication de la chirurgie en urgence est la fracture de la rotule ou du fémur associée à la luxation. L’ablation d’un corps étranger intra-articulaire ou l’ostéosynthèse d’un gros fragment justifient une prise en charge chirurgicale. Cette chirurgie pourra se faire par voie arthroscopique, ou par abord direct de la lésion.

Traitement de la luxation de rotule : état actuel des connaissances

Le traitement du premier épisode d’une luxation de la rotule est en général conservateur (figure 2). Nous conseillons une immobilisation par guêtre plâtrée pendant six semaines. Ensuite, la physiothérapie comporte un renforcement duvastus medialis, une mobilisation douce, et une récupération des amplitudes articulaires. Les techniques proprioceptives sont parfois associées. La chirurgie est seulement proposée en cas de récidive de luxation. Un scanner de l’articulation fémoro-patellaire est utile pour le bilan préopératoire (figures 3A et 3B). L’indication chirurgicale doit tenir compte de l’âge du patient, de son niveau sportif, et de la gêne fonctionnelle liée aux épisodes de récidive.
Figure 2

Prise en charge globale de la luxation de la rotule chez l’adolescent *


* Hôpital des enfants de Genève/année 2010.
Figure 3

Scanner de l’articulation fémoro-patellaire médiale


A. Scanner normal de la rotule chez un adolescent de douze ans. Bon positionnement des rotules en face de la trochlée fémorale.
B. Scanner chez un adolescent de quatorze ans avec dysplasie fémoro-patellaire bilatérale. Notez l’inclinaison latérale de la rotule et la diminution du contact articulaire entre le fémur et la rotule. La trochlée est très aplatie.

Chirurgie pour les luxations récidivantes de la rotule

Les méthodes chirurgicales proposées peuvent être séparées en deux catégories : les techniques de remodelage osseux et les techniques qui agissent sur les parties molles.

Techniques de remodelage osseux

Les méthodes osseuses agissent principalement sur la position de la tubérosité tibiale antérieure (TTA). Ces techniques sont proposées en cas de rotule haute par abaissement de la position de la TTA. En cas d’une latéralisation excessive de l’appareil extenseur, un déplacement médial de la TTA sera proposé. Certains auteurs proposent une modification de la trochlée fémorale par creusement (trochléoplastie) mais leur efficacité et leur morbidité à long terme ne sont pas encore bien connues.

Techniques de modification des parties molles


Modifications des ailerons de la rotule

Elles font appel à une plicature de l’insertion musculaire interne du quadriceps sur la rotule (technique d’Insall) et à une section de l’aileron externe de la rotule, mais plus souvent par l’association des deux. L’arthroscopie peut être proposée pour le bilan et le traitement des lésions ostéochondrales associées aux épisodes de luxations. Cette technique permet aussi la section de l’aileron externe diminuant ainsi la taille des incisions chirurgicales.

Reconstruction du ligament fémoro-patellaire médial

La reconstruction du ligament fémoro-patellaire médial occupe une place de plus en plus importante dans la chirurgie de la luxation de la rotule. Plusieurs techniques de reconstruction ont été proposées. Parmi elles, nous utilisons la technique proposée par Schöttle.13 Dans cette technique, trois incisions d’environ deux centimètres chacune sont réalisées pour traiter la luxation de la rotule. Cette technique a l’intérêt d’être mini-invasive. Le tendon semi-tendineux est prélevé par une incision proche de son insertion tibiale. Une deuxième incision fixe le transplant au niveau du tubercule des adducteurs et une troisième, permet sa fixation sur la rotule. Ces trois incisions, de petite taille permettent de prélever et fixer le transplant tendineux entre le fémur et sur la rotule, à la place du LFPM rompu lors de la luxation initiale. Nos résultats sur une totalité de six cas sont satisfaisants avec une stabilité de la rotule et une absence de récidive de luxation. Comme pour toute chirurgie, ces reconstructions du ligament fémoro-patellaire par greffe ne sont pas dénuées de risques. Parmi eux, il faut retenir les fractures de la rotule, non corrélées avec un épisode de luxation et les lésions du nerf saphène.14,15 Nous n’avons pas eu jusqu’à ce jour de complications à regretter, mais notre recul, inférieur à cinq ans, est encore insuffisant.

Technique de Roux – Goldthwait

Cette technique consiste à déplacer la moitié latérale du ligament rotulien vers le côté médial. Une plastie du retinaculum médial est associée parfois à cette technique. Les propriétés biomécaniques de cette chirurgie sont très critiquées, surtout outre-Atlantique. Elle est parfois proposée pour la chirurgie de la luxation récidivante de la rotule.

Conclusion

La prise en charge de la luxation de la rotule reste complexe. L’analyse des anomalies propres à chaque patient et une maîtrise de la pathologie fémoro-patellaire nous semblent indispensables avant de proposer tout geste chirurgical. Les sutures du ligament fémoro-patellaire médial en urgence ne semblent pas s’accompagner d’une diminution du risque de récidive. Par contre, les résultats de la reconstruction différée du ligament fémoro-patellaire par greffe tendineuse sont encourageants. Cependant, des études avec un long recul sont souhaitables pour évaluer les conséquences de cette technique, en particulier sur l’articulation fémoro-patellaire.
L’objectif commun de toutes ces techniques est de limiter le déplacement latéral de la rotule. Les résultats à long terme de ces techniques n’ont pas permis, pour l’instant, d’établir une prise en charge universelle de cette pathologie complexe. L’objectif idéal du traitement de l’instabilité rotulienne à court et moyen termes serait de maintenir la même activité physique, avec une diminution du risque de récidive de la luxation. A long terme, l’objectif serait d’éviter l’arthrose fémoro-patellaire. Une meilleure connaissance de cette pathologie nous permettra d’atteindre un jour ces objectifs. ■

Implications pratiques

> Le premier épisode de luxation de la rotule doit être traité avec le repos suivi d’une physiothérapie adaptée
> Le deuxième épisode doit être suivi d’une consultation avec un chirurgien orthopédiste
> La majorité des luxations sont associées à une anomalie du développement de l’articulation fémoro-patellaire
> La chirurgie mini-invasive avec greffe tendineuse doit aboutir à une stabilisation de la rotule et, par conséquence, à une diminution des récidives de la luxation