Le syndrome douloureux régional complexe (algodystrophie) sous toutes ses formes
François Luthi, Michel Konzelmann
Rev Med Suisse 2014;271-272
Présentation clinique
Un homme de 45 ans fait une chute d’une échelle. Il en résulte une fracture du calcanéum droit traitée par réduction ouverte, ostéosynthèse, immobilisation, puis physiothérapie. Après une évolution décrite comme favorable, il consulte au quatrième mois pour une douleur qui persiste, particulièrement présente le soir et la nuit. La couette est difficilement supportée sur le pied. Il note aussi une tuméfaction, toujours présente, accompagnée d’une sensation de chaleur. A l’examen clinique, le patient utilise deux cannes. Les cicatrices sont calmes. La cheville et le pied sont enflés, chauds, assez raides. Le rebord externe et le dos du pied sont diffusément sensibles avec des sensations désagréables au toucher. A la prise de sang, les paramètres inflammatoires sont normaux. Le contrôle récent chez le chirurgien est rassurant, la fracture considérée comme consolidée.
Vous suspectez une algodystrophie et prescrivez un traitement de calcitonine avec poursuite de la physiothérapie. Après six semaines, l’évolution est mitigée. Le patient dit que ça va un petit peu mieux. L’examen clinique est superposable.
Confirmez-vous le diagnostic d’algodystrophie ? Proposez-vous des examens complémentaires et/ou d’autres traitements, médicamenteux ou non ?
Commentaire
En l’absence de test objectif, le syndrome algodystrophique a longtemps ressemblé à un chaos diagnostique, entraînant confusion thérapeutique et controverse scientifique. Pour «remettre de l’ordre dans la maison», l’International Association for the Study of Pain (IASP) a proposé une nouvelle terminologie, le syndrome douloureux régional complexe (SDRC), qui évite toute spéculation physiopathologique. Elle a aussi réalisé un consensus diagnostique aussi complet que possible. Cela a permis la récente validation des critères dits de Budapest (tableau 1 ), qui devraient dorénavant faire foi.1 La vignette ci-dessus remplit ces critères. Ils sont exclusivement cliniques, ne laissant aucune place aux examens radiologiques (radiographie, scintigraphie, IRM). Néanmoins, même si elle est toujours l’objet d’une controverse,2 ,3 l’imagerie, en particulier la scintigraphie et l’IRM, garde un rôle à notre sens, à condition d’en faire bon usage.
Sur le plan diagnostique, l’imagerie devrait être réservée aux formes douteuses (celles qui ne remplissent pas les critères de Budapest), aux localisations pour lesquelles les signes cliniques sont souvent discrets et incomplets (par exemple, le genou), aux formes atypiques rares, telles que les SDRC partiels de la main (figure 1 ).4 Elle devrait de plus être réalisée précocement, moins de six mois après le début des symptômes. Sur le plan thérapeutique, l’imagerie peut probablement contribuer à orienter la stratégie médicamenteuse. Une équipe italienne a récemment publié un essai randomisé, contrôlé, de bonne qualité, qui tend à démontrer l’intérêt des bisphosphonates utilisés précocement si la scintigraphie osseuse est positive aux trois phases.5 Dans le cas clinique présenté, la scintigraphie était positive et la diminution des douleurs était marquée après des perfusions de pamidronate (4 x 90 mg en huit jours). Dans les formes «précoces» (moins de six à douze mois), en parallèle avec le traitement antalgique, les médicaments les plus intéressants sont les corticoïdes, les bisphosphonates et les médicaments de la douleur neuropathique. Le niveau de preuves reste cependant modeste et l’approche thérapeutique est pragmatique.6 La calcitonine perd progressivement son crédit et ne doit pas être utilisée plus de quatre à six semaines. Dans les formes «tardives», les traitements médicamenteux sont ceux des syndromes douloureux chroniques en général, sans spécificité véritable du SDRC. Le diagnostic peut être difficile à confirmer, rendant les choix thérapeutiques encore plus complexes.6
Mais le socle thérapeutique demeure la restauration fonctionnelle précoce, avec la physiothérapie et l’ergothérapie.6 En plus des techniques antalgiques, du drainage, des mobilisations progressives, la réactivation précoce de l’ensemble de la personne souffrant d’un SDRC est primordiale. Il faut éviter d’appliquer une «règle de la non-douleur», rigide et mal comprise, et la remplacer par la «règle du bon rapport d’activité», qui permet au patient de retrouver son autonomie. Des essais cliniques récents ont en effet confirmé qu’une exposition progressive des patients était possible et efficace.7 En cela aussi le SDRC se rapproche des autres syndromes douloureux. Les facteurs de mauvais pronostics, personnels et environnementaux, sont les mêmes, sans place pour une typologie propre au SDRC. Le rôle des messages délivrés par les soignants, et en particulier par le corps médical, est donc capital pour une prise en charge globale, bio-psychosociale, des malades souffrant de SDRC.
Conclusion
Le travail réalisé au cours des dix dernières années, notamment sous l’égide de l’IASP, a permis d’obtenir un consensus acceptable et praticable pour poser le diagnostic de SDRC (algodystrophie). La diffusion de ces critères devrait permettre la réalisation d’essais cliniques de qualité. Une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques et des traitements, toujours sujets de controverses, est donc probable à l’avenir.
Implications pratiques
▸ Les critères de Budapest1 sont applicables en clinique. Ils permettent de retenir le diagnostic de syndrome douloureux régional complexe (algodystrophie) dans la majorité des cas
▸ L’imagerie garde sa place dans la stratégie diagnostique, mais elle doit être demandée de manière raisonnée (cas douteux, localisation ou forme «atypiques») et si possible dans les six premiers mois d’évolution
▸ A côté du traitement antalgique, notre «arbre médicamenteux précoce» comprend principalement les corticoïdes (forme «inflammatoire» prédominante), les bisphosphonates (forme avec imagerie osseuse positive : scintigraphie trois phases, œdème médullaire à l’IRM) et les médicaments de la douleur neuropathique (forme avec douleur «neuropathique» prédominante)
▸ La restauration fonctionnelle (physiothérapie, ergothérapie) demeure le socle thérapeutique. Une approche biopsychosociale orientée vers l’autonomie du patient est primordiale6
▸ La prise en charge doit être précoce, dynamique et pragmatique en évitant de conserver pendant des semaines des traitements inefficaces
- ↑ Harden RN. Validation of proposed diagnostic criteria (the «Budapest Criteria») for complex regional pain syndrome. Pain 2010 (150) [Medline]
- ↑ Ringer R. Concordance of qualitative bone scintigraphy results with presence of clinical complex regional pain syndrome 1 : Meta-analysis of test accuracy studies. Eur J Pain 2012 (16)
- ↑ Wüppenhorst N. Sensitivity and specificity of 3-phase bone scintigraphy in the diagnosis of complex regional pain syndrome of the upper extremity. Clin J Pain 2010 (26) [Medline]
- ↑ Konzelmann M. Diagnosis of partial complex regional pain syndrome type 1 of the hand : Retrospective study of 16 cases and literature review. BMC Neurol 2013 (13) [Medline]
- ↑ Varenna M. Treatment of complex regional pain syndrome type 1 with neridronate : A randomized, double blind, placebo-controlled study. Rheumatology 2013 (52) [Medline]
- ↑ Harden RN. Complex regional pain syndrome : Practical diagnostic and treatment guidelines, 4th edition.Pain Med 2013 (14) [Medline]
- ↑ Van de Meent H. Safety of «pain exposure» physical therapy in patients with complex regional pain syndrome type 1. Pain 2011 (152) [Medline]
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