Introduction

Les douleurs lombaires, ou lombalgies, sont un symptôme courant et constituent un problème de santé publique majeur dans les pays industrialisés.1-3 Dans une consultation de médecine générale, la cause de ces douleurs sera non spécifique pour la majorité des patients et évoluera favorablement en l'espace de quelques jours ou semaines. Dans un petit nombre de cas, les lombalgies aiguës non spécifiques deviendront chroniques, avec des répercussions majeures sur les activités professionnelles et non professionnelles.
Dans le présent article, nous avons décidé d'illustrer ces deux situations et de les commenter à la lumière des recommandations actuelles.


Premier cas clinique

M. LA, 32 ans, employé de banque sans antécédent notable, consulte en urgence en raison d'une violente douleur lombaire (8/10) irradiant dans toute la jambe droite. C'est la première fois qu'il présente ces symptômes. Il a aidé un ami à déménager la veille, n'a pas fait de chute ni de faux mouvement et n'a ressenti aucune douleur le soir. Le matin au réveil, il ne peut pratiquement plus marcher et ressent des fourmillements tout le long de la jambe jusqu'à la cheville. Il ne présente pas d'état fébrile, pas de troubles sphinctériens, ni de déficit moteur. Il est très inquiet et souhaite une radiographie de la colonne lombaire. Un de ses amis a eu «la même chose que lui» et a dû être opéré en urgence ! L'examen clinique met en évidence une contracture paravertébrale L2-L4, l'absence de déficit sensitivomoteur, un test de Lasègue négatif et des réflexes ostéo-tendineux normaux.


Prise en charge de la lombalgie aiguë

Ce patient présente une lombosciatalgie droite non déficitaire. On parlera de lombalgie (synonyme : lumbago, lombalgie commune) en cas de douleur de la région lombaire basse, parfois accompagnée d'une limitation de la mobilité et d'une raideur du rachis, de lombalgie aiguë en cas d'évolution inférieure à six semaines, de lombalgie subaiguë entre six et douze semaines d'évolution et de lombalgie chronique en cas de persistance des douleurs au-delà de trois mois. La lombosciatalgie est définie comme une lombalgie avec irradiation dans un membre inférieur au-delà du pli fessier, notamment le long du trajet du nerf sciatique. La lombosciatique est définie comme une lombalgie accompagnée d'un syndrome radiculaire L5 ou S1 (douleurs localisées au dermatome correspondant, accompagnée de signe irritatif, w déficit neurologique sensitif et/ou moteur). Dans le cadre d'un syndrome radiculaire L2, L3 ou L4, on parlera d'une cruralgie ou d'une lombocruralgie s'il est accompagné d'une lombalgie.


Anamnèse, examen clinique et examens complémentaires

La démarche diagnostique repose sur l'anamnèse et l'examen clinique à la recherche de signes d'alerte (red flags) (tableau 1).4-6 L'examen du dos comprend l'examen de la posture en position debout (bascule du bassin, présence d'une scoliose), la palpation et la percussion du rachis dorso-lombaire et un examen dynamique (flexion antéro-postérieure ­ distance doigt-sol, Schobert ­ et latérale). L'examen d'une contracture musculaire au niveau lombaire se fait généralement avec le patient couché sur le ventre et non pas en position debout. L'examen clinique peut être facilité par l'administration précoce d'une antalgie p.o. (premier choix : paracétamol 1000 mg, ibuprofène 600 mg ou diclofénac 50 mg). Le traitement parentéral (diclofénac 25 mg i.m. ou kétorolac 30 mg i.v. lent) n'a pas montré sa supériorité mais peut se justifier en fonction des attentes et des convictions du patient.

Si l'anamnèse révèle une irradiation de la douleur dans les membres inférieurs, il faut rechercher des signes d'irritation radiculaire. Le test de Lasègue direct (plus sensible) et croisé (plus spécifique) reste le test le plus fiable pour identifier une atteinte radiculaire (test positif en cas de symptôme radiculaire entre 30° et 70° d'élévation de la jambe). Le test de marche sur les talons et la pointe des pieds permet d'exclure rapidement une parésie sévère des muscles fléchisseurs ou releveurs du pied, mais ne permet pas d'exclure une atteinte des muscles releveurs du premier orteil qui doivent être examinés de manière séparée. On peut terminer par l'examen des réflexes ostéo-tendineux et de la sensibilité. Si l'on suspecte un syndrome de la queue de cheval (compression des racines sacrées), il est nécessaire de faire un examen de la sensibilité de la région péri-anale et glutéale et du tonus du sphincter anal.
Lorsque l'examen physique confirme l'absence de signaux d'alarme, on posera le diagnostic de lombalgie non spécifique. Aucun examen radiologique n'est nécessaire, car la corrélation entre troubles dégénératifs et lombalgie non spécifique est mauvaise.7-9
Si l'anamnèse et/ou l'examen clinique mettent en évidence des signaux d'alarme, il est alors impératif de faire un examen clinique complet et de procéder à des investigations ciblées.9,10 Des douleurs lombaires sans syndrome vertébral à l'examen clinique évoqueront en particulier certaines pathologies rétropéritonéales (par exemple, pathologies aortiques). Une radiographie standard de la colonne (face et profil) est recommandée pour exclure des atteintes osseuses de nature traumatique et/ou tumorale. Chez les personnes de moins de vingt ans, en cas de troubles statiques marqués (par exemple, scoliose, inégalité de longueur des membres inférieurs), un avis orthopédique s'impose. Chez les personnes de plus de 50 ans, et/ou lorsque l'on suspecte une maladie systémique de nature inflammatoire, la mesure des paramètres inflammatoires est également nécessaire, assortie d'un avis rhumatologique s'ils sont pathologiques.
En cas de déficit neurologique moteur rapidement progressif (en quelques jours ou quelques heures) et/ou de troubles sphinctériens, un examen radiologique complémentaire du rachis doit être effectué sans attendre (CT/IRM), assorti d'un avis neurochirurgical. Toutefois, et à condition de réévaluer régulièrement le patient (une fois par semaine pendant le premier mois d'évolution), on peut renoncer à un examen radiologique d'emblée si le déficit est discret et non progressif.


Attitude et traitement de la lombalgie aiguë non spécifique

Lors de la prise en charge médicale, il est primordial de mettre l'accent sur la nature «fonctionnelle» des douleurs et sur l'absence de lésion organique en relation avec les symptômes cliniques (tableau 2).11 Il est tout aussi important de souligner le caractère bénin des douleurs, puisque dans 90% des cas l'évolution sera favorable en quelques jours, voire quelques semaines. Il est également important de souligner le côté réversible de la lombalgie aiguë non spécifique dès la première consultation et de mentionner le risque de récidive, qui est de l'ordre de 20-45% sur une année et dont l'évolution reste tout à fait favorable.12 Il est aussi utile de désamorcer précocement les croyances et les comportements douloureux inappropriés (tableau 3) qui sont un facteur de mauvais pronostic.13


Après avoir rassuré et informé le patient, il faut encourager une mobilisation précoce, même en présence de douleurs.14,15 Le repos au lit n'est en aucun cas thérapeutique ! L'accent sera donc mis sur une reprise dès que possible des activités habituelles y compris professionnelles.11,14,15 Il est important que ce message soit identique pour tous les soignants. Le patient doit également être informé sur les mouvements et positions à éviter (port de charges lourdes ou avec bras de levier, flexion antérieure du tronc sans appui, position assise prolongée). Le certificat médical d'arrêt de travail doit être utilisé avec parcimonie et ne devrait pas dépasser trois à cinq jours. Toute prolongation devra s'accompagner d'une nouvelle évaluation médicale.
A cette fin, l'antalgie doit être efficace dès la première consultation pour éviter la mémoire de la douleur. Le premier choix est le paracétamol en prise régulière 3-4 x 1 g/j. Si ce traitement antalgique est insuffisant, un traitement d'AINS (par exemple : ibuprofen, diclofénac) peut être associé. Les myorelaxants sont utiles en cas de contracture musculaire (par exemple : tizanidine). Les benzodiazépines ne sont pas recommandées en raison du risque de dépendance. En cas de persistance des douleurs malgré ces différents traitements, on peut recourir aux opioïdes.16 La durée du traitement médicamenteux est généralement de trois à dix jours. L'utilisation de gel topique contenant des anti-inflammatoires n'est pas recommandée car elle n'a pas fait preuve d'efficacité pour la lombalgie.
Les manipulations (médecine manuelle) peuvent s'avérer efficaces au cours des quatre premières semaines d'évolution, surtout chez les patients qui ne peuvent reprendre leurs activités en raison des douleurs. Une contracture musculaire importante (par exemple le muscle pyramidal) peut mimer une lombocruralgie ou même une lombosciatalgie, qui peut être rapidement soulagée par une manipulation. Les manipulations sont brèves, souvent immédiatement efficaces, et sont pratiquées en association avec une antalgie efficace. Elles sont contre-indiquées en présence d'un déficit neurologique sévère ou progressif et doivent être pratiquées par un médecin au bénéfice d'une formation spécifique reconnue. La poursuite de ce traitement est injustifiée en l'absence de résultats significatifs et prolongés.17
La physiothérapie n'est en général pas indiquée au cours des deux à quatre premières semaines en raison de l'évolution spontanément favorable des lombalgies. La physiothérapie passive (par exemple, massage, ultrasons) est même contre-indiquée car elle renforce les comportements douloureux inappropriés et augmente le risque de chronicité. L'infiltration de trigger point ou des articulations postérieures, de même que les injections épidurales de stéroïdes n'ont pas fait preuve de leur efficacité pour la lombalgie aiguë.
En l'absence d'évolution favorable après quatre semaines, il est nécessaire de reconsidérer la présence de signes d'alerte et de pratiquer un examen radiologique standard du rachis. Une augmentation de l'intensité des douleurs lors du suivi, malgré un traitement bien conduit, doit également être considérée comme un signal d'alarme. A ce stade, l'avis d'un rhumatologue peut s'avérer nécessaire.
Si après quatre à six semaines de prise en charge, l'évolution n'est toujours pas satisfaisante, une prise en charge multidisciplinaire et spécialisée (médecin de premier recours, rhumatologue, physiothérapeute, ergothérapeute, assistante sociale) devient une priorité.


Deuxième situation clinique

M. DL, 43 ans, d'origine égyptienne et ouvrier dans le bâtiment, présente des lombalgies depuis onze ans. Son histoire médicale débute en 1996 avec des épisodes de lombalgie d'intensité croissante sans anomalie radiologique ou biologique. Devant le caractère récidivant des lombalgies, une IRM est finalement réalisée révélant une hernie discale L4-L5 sans compression radiculaire. Les neurochirurgiens ne proposent pas d'intervention chirurgicale. Malgré un traitement de physiothérapie (renforcement musculaire et assouplissement), le patient se plaint continuellement de douleurs lombaires irradiant au niveau du membre inférieur gauche (MIG), évaluées à 8/10 avec une recrudescence nocturne. La marche est limitée à une heure et la position assise difficile à maintenir au-delà de 30 minutes. La prise d'antalgiques reste efficace sur les douleurs, mais le patient a renoncé au traitement de physiothérapie qui ne lui apporte aucun soulagement. Hormis une amyotrophie au niveau dorsal, le reste du statut est normal. Au niveau social, il ne travaille plus depuis sept ans et reçoit une rente de l'AI. Il dit être totalement découragé et souffrir beaucoup sans que personne ne puisse l'aider. Il aimerait pouvoir se passer de médicaments et ne se voit pas finir sa vie comme cela, raison pour laquelle il vient vous voir.



Prise en charge de la lombalgie chronique «chronique»

Si pour la lombalgie aiguë il existe des recommandations claires sur l'attitude à adopter, pour les lombalgies chroniques, le généraliste se retrouve souvent seul et désarmé. Comment gérer cette prise en charge ? Que peut encore faire le médecin généraliste ? Comment ne pas baisser les bras ?


Changer de paradigme

La compréhension de la lombalgie a évolué depuis ces vingt dernières années. Il ne s'agit plus d'un problème uniquement biomédical, car une étiologie organique claire est rarement présente.7 La lombalgie est souvent caractérisée par une évolution fluctuante avec des récidives fréquentes et un risque non négligeable de passage à la chronicité. Il faut donc la considérer d'emblée, après exclusion des red flags, comme une maladie complexe. Ce constat conduit au modèle biopsychosocial, qui intègre le patient dans sa globalité en tenant compte de ses attentes et de son vécu.18-20 Sans cette approche globale, les traitements antalgiques et les séances de physiothérapie s'avéreront peu efficaces.


Tenir compte des attentes du patient

Les patients lombalgiques chroniques attendent une explication à leurs symptômes et désirent être traités en tant que partenaires participant activement au traitement.21 Toute explication basée uniquement sur le modèle biomédical (par exemple, conseils de posture, explication sur le rôle du disque vertébral) s'avère inefficace. Par contre les interventions éducatives qui tiennent compte des aspects biopsychosociaux peuvent influencer durablement les croyances et le comportement des patients.17,22-24 Toutefois, il est nécessaire de bien expliciter cette démarche, car l'investigation de l'environnement psychosocial des patients peut être ressentie comme une mise en doute de leur souffrance. Faute d'explication suffisante, ce décalage entre la démarche du médecin et son interprétation par le patient peut mettre en danger la relation médecin-malade, provoquer des résistances aux recommandations thérapeutiques et entraîner un «tourisme médical».25 Il est dès lors fondamental que le médecin et le patient s'accordent sur des objectifs thérapeutiques communs, après une exploration attentive des attentes et des besoins du patient (figure 1).26,27
Quels objectifs choisir ? Comment déterminer des objectifs ?
Waters propose d'identifier avec le patient les buts les plus importants de sa vie et de voir en quoi la maladie l'empêche de les atteindre (Goal-directed health care). Ainsi, les motivations du patient et ses aspirations deviennent des outils sur lesquels un travail est possible, afin de sortir le patient de l'impasse «tant que j'ai mal, je ne peux rien faire». Le thérapeute n'est plus celui qui donne la solution mais celui qui soutient, encourage, guide en vue de faire émerger des objectifs thérapeutiques réalistes et accompagner leur réalisation. Le patient n'est plus celui qui subit un traitement, mais devient un acteur coresponsable de sa prise en charge.20 On peut prendre comme point de départ l'activité du patient sur 24 heures, afin d'identifier les activités qui représentent un obstacle dans la vie quotidienne du patient. Les stratégies d'adaptation déjà mises en place par le patient sont ainsi valorisées et ses capacités de coping (faire avec) renforcées. Cette forme de coping, ou coping accommodatif, est basée sur la révision, la réorientation et l'adaptation de ses objectifs en fonction du handicap actuel et de son évolution. Il permet de limiter l'impact de la douleur sur la thymie et de mieux vivre sa maladie chronique.28

Conclusion

Dans la prise en charge des lombalgies, le médecin de premier recours a un rôle majeur : il doit dès la première consultation exclure une atteinte spécifique en se fondant sur les signes d'alerte (red flags) et identifier les lombalgies spécifiques. Pour les lombalgies non spécifiques, le but du traitement est de permettre une reprise le plus rapide possible des activités habituelles, à l'aide d'une antalgie efficace et en corrigeant les croyances inappropriées. Le but de cette prise en charge est d'éviter une évolution chronique des symptômes. Lorsque le patient lombalgique a épuisé les autres options thérapeutiques, le médecin généraliste redevient souvent son seul interlocuteur. Dans cette situation, il est important de verbaliser des objectifs thérapeutiques réalistes et précis après avoir pris soin d'explorer l'univers du patient et de construire avec lui un projet thérapeutique. Il est important de souligner le rôle prépondérant de la relation thérapeutique et d'établir un cadre de traitement régulier avec un «contrat thérapeutique». La consultation devient un espace privilégié où le patient peut exprimer sa plainte et faire valider sa souffrance.